Jour 1
Jean de La Fontaine, notre grand fabuliste, est né dans l’Aisne, à Château-Thierry, il y a 400 ans cette année, le 8 Juillet.
Dans cette ville, on peut visiter sa maison natale transformée en musée. Jusqu’au 17 octobre, on découvre en plus une exposition de constructions en « legos » qui représentent de nombreuses scènes de ses fables.
Le musée possède également, visibles en permanence, des illustrations de ses fables et de ses contes, dues à François Chauveau, son premier illustrateur au XVII e siècle et à J.B Oudry, grand peintre animalier des années 1750. On peut voir aussi des tableaux inspirés de ses œuvres et les différentes éditions de ses 243 fables publiées en 1668, 1678 et 1694.
Accès direct au musée ici : https://www.museejeandelafontaine.fr/?lang=fr
La Fontaine hérita de cette maison en 1658, à la mort de son père, dont il reprit également la charge de maître des Eaux et Forêts. Il gardera la maison jusqu’en 1676, date à laquelle des difficultés financières l’obligèrent à la vendre.
Le fabuliste se maria en 1647 avec une très jeune fille de 14 ans : Marie Héricart. Ils eurent un fils Charles, élevé surtout par son parrain, ami de La Fontaine : Maucroix. Le fabuliste en effet, négligeant femme et enfant, se montra très volage.
Revenons à la rue La Fontaine de Château-Thierry ; un peu plus haut que la maison, on peut suivre un chemin en pente bordé d’autres illustrations de ses fables par Grandville, Gustave Doré, Chagall. D’autres illustrateurs ont interprété les fables à leur manière, ainsi Benjamin Rabier, puis Marguerite Calvet-Rogniat, dont on distribuait, vers 1960, les illustrations sous forme d’images dans les écoles.
La charge des Eaux et Forêts rapportait peu à notre auteur. Alors, de quoi vivait-il ? A l’époque, les écrivains devaient, pour vivre décemment, avoir un protecteur puissant. La Fontaine fut d’abord le protégé de Fouquet, le surintendant des finances ; mais, après sa disgrâce en 1661, il dut chercher d’autres protecteurs : ce seront, successivement, non pas le roi Louis XIV qui lui gardait rancune de sa proximité avec Fouquet, dont la vie fastueuse l’avait offensé, mais le prince de Conti, la duchesse d’Orléans et surtout Madame de la Sablière, animatrice d’un Salon, chez qui il demeurera 20 ans.
A part ses 243 fables réparties en 12 livres, La Fontaine écrivit des Contes licencieux qu’il désavoua à la fin de sa vie pour avoir une mort chrétienne, et de longs poèmes : Adonis, le Songe de Vaux, les amours de Psychè et Cupidon. Il entra à l’Académie Française en 1684.
On peut envisager les fables suivant ce plan :
1/ Critique privée et critique sociale
2/ Des humains parlent aux humains
3/ Bonheur de la narration
4/ Les confidences de La Fontaine
Toutes les fables de La Fontaine sont consultables ici : http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/fables.htm
et les principales d’Esope ci-dessous : https://fr.wikisource.org/…/Fables_d%E2%80%99%C3%89sope…
Jour 2 : critiques et conseils
1) Critique privée et critique sociale
La Fontaine reprend la manière initiée par le fabuliste grec Esope (VIème siècle avant JC). Il met en scène des animaux dont le comportement illustre une morale. Mais, alors que chez Esope, la morale, un peu sèche, semble primer, La Fontaine donne davantage d’importance à l’anecdote. Il n’est pas moins vrai que la critique du poète sur les actions privées des hommes ou leur comportement dans la société est percutante.
Bien des défauts humains sont pointés du doigt : L’excès de confiance en soi, dans Le Lièvre et la tortue* (VI 10) ou Le chêne et le roseau (I 22) * Version symphonique avec Lambert Wilson: https://www.youtube.com/watch?v=GjNDvlLdv0c
L’insatisfaction dans Le Héron (VII 4)* Le manque d’altruisme dans La Cigale et la Fourmi, mais aussi l’imprévoyance. Dans certaines fables, les attitudes opposées sont critiquées toutes les deux. La fourmi est certes travailleuse et prévoyante, mais elle manque de cœur, alors que la cigale, trop légère, mène une vie d’artiste, pleine de poésie.
Parfois, un défaut individuel devient sous la plume du fabuliste, un défaut social ; La grenouille qui s’enfle pour égaler le bœuf en grosseur représente par son manque de sagesse, d’après la morale finale, les gens qui ont trop de prétentions sociales. « Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout petit prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages. (I 3)
Dans la société, les forts abusent de leur pouvoir sur les faibles incapables de se défendre, comme dans « Le loup et l’agneau »( I 10) ou « Le Jardinier et son seigneur » (IV 4) ; sous prétexte de débarrasser son sujet d’un lièvre destructeur, le seigneur « boit son vin, caresse sa fille » et fait avec ses hommes « …plus de dégât en une heure de temps Que n’en auraient fait en cent ans Tous les lièvres de la province. »
De plus, même si les faibles ont commis des fautes vénielles, ce sont eux, dans la société qui sont sacrifiés. On le voit dans « Les animaux malades de la peste » où l’âne, beaucoup moins fautif que les autres animaux, est abattu ; « Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
Bob Wilson – Les animaux malades de la peste (chorégraphie) :https://www.youtube.com/watch?v=gv0aygSKQ3c
La fable de « L’Homme et la Couleuvre » (X 1) met en scène plusieurs animaux qui ont à se plaindre de l’ ingratitude de l’ homme, mais l’homme se venge… et voici la morale : « On en use ainsi chez les grands : La raison les offense ; ils se mettent en tête Que tout est né pour eux, quadrupèdes et gens, Et serpents. Si quelqu’un desserre les dents, C’est un sot._ J’en conviens : mais que faut-il donc faire ? Parler de loin, ou bien se taire. »
Certes, pour éviter les représailles, La Fontaine utilise les animaux et non les humains, dans ses critiques les plus vives sur la monarchie absolue de son époque ; heureusement qu’il avait, en plus, le soutien de personnages haut placés !
NB : dans l’ identification des fables, le 1er chiffre indique le numéro du livre des fables, le 2e la place de la fable dans le livre.)
2) Des humains parlent aux humains
La Fontaine critique, mais il conseille également. Son but, comme celui de Molière, est de plaire en instruisant ; il souhaite que les gens changent d’attitude, et il l’exprime parfois avec une grande fermeté. On remarque, pour illustrer certains thèmes, la présence d’humains et non plus d’animaux. C’est ainsi qu’il s’élève contre la déforestation, comme Ronsard un siècle plus tôt (« Ecoute, bûcheron, arrête un peu le bras ! ») Relisons la fin de » La Forêt et le bûcheron » (XII 16 ) « Mais que de doux ombrages Soient exposés à ces outrages, Qui ne se plaindrait là-dessus ? Hélas ! j’ai beau crier et me rendre incommode, L’ingratitude et les abus N’en seront pas moins à la mode. » Dans « Le Meunier, son fils et l’âne » (III 1 ), il conseille vivement à chacun, d’agir en son âme et conscience, sans s’ occuper du « qu’en dira-t-on » ; après avoir suivi les conseils contradictoires des passants, le meunier s’ exprime en ces termes : « Mais que dorénavant on me blâme, on me loue, Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien, J’en veux faire à ma tête. » Il le fit, et fit bien. (Ajoute le fabuliste.)
Les personnages humains illustrent certains thèmes, comme l’imagination, le mensonge, les commérages, qui sont peut-être étrangers aux animaux. C’est le cas de « La laitière et le pot au lait » (VII 10), dont la rêverie est particulièrement humaine.
C’est aussi le cas des femmes qui colportent des sottises dans « Les femmes et le secret » (VIII 6) « Rien ne pèse tant qu’un secret : Le porter loin est difficile aux dames ; Et je sais même sur ce fait Bon nombre d’hommes qui sont femmes. » (Notons que La Fontaine n’échappe pas à la misogynie de son temps). L’inconstance et la coquetterie apparaissent elles aussi comme des défauts humains ; voyons « La Jeune Veuve » (VI 21), fable pleine à la fois d’ humour et de bienveillance. Le rapport au travail s’envisage lui aussi grâce aux humains. … « le travail est un trésor », enseigne le laboureur à ses enfants. (V 9) Le savetier symbolise même le bonheur au travail (VIII 2) « Un Savetier chantait du matin au soir ; C’était merveilles de le voir, Merveilles de l’ouïr. »
La Fontaine évoque aussi de manière amusante l’exploitation au travail dans « La vieille et les deux servantes » (V 6). « La vieille n’avait point de plus pressant souci Que de distribuer aux servantes leur tâche… Point de cesse, point de relâche. » Enfin, le souci, voire la crainte de la mort appartiennent en propre aux humains. Bien que malheureux ou très âgés, les hommes demeurent attachés à la vie et repoussent la mort quand elle arrive. Dans « La mort et le bûcheron » (I 16) , l’homme désespéré préfère continuer à souffrir : « Plutôt souffrir que mourir, C’est la devise des hommes. » Le vieillard de « La mort et le mourant » (VIII 1), lui non plus, ne veut pas mourir. « Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret. » Environ un quart des fables ont des personnages humains, surtout pour évoquer quelques grands problèmes liés à l’organisation sociale ou à l’âme humaine.
Jour 3 : des animaux et des hommes
3) Bonheur de la narration
La Fontaine nous présente parfois des personnages humains, mais surtout des animaux dans leur décor. Certains nous sont montrés en groupe, dans leur lieu d’habitation : Le Chat et le Rat (VIII 22) « Quatre animaux divers, le chat grippe-fromage, Triste-oiseau le hibou, Ronge-maille le Rat, Dame Belette au long corsage, Toutes gens d’esprit scélérat, Hantaient le tronc pourri d’un pin vieux et sauvage. »
Les noms donnés aux animaux mettent en évidence leurs caractéristiques. D’autres nous sont montrés dans leurs déplacements, en mouvement. « Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints, S’en allaient en pèlerinage. C’étaient deux vrais tartufs, deux archipatelins, Deux francs patte-pelus, qui des frais du voyage, Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage, S’indemnisaient à qui mieux mieux. » (IX 14)
Les noms, inventés ou très vieillis, soulignent la sournoiserie des animaux. Ceux-ci apparaissent dans leur milieu, suggéré de manière très poétique. Regardons les lapins : (X 14) « A l’heure de l’affût, soit lorsque la lumière Précipite ses traits dans l’ humide séjour, Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière, Et que, n’ étant plus nuit, il n’est pas encore jour, …………………………………………………….. Je vois fuir aussitôt toute la nation Des lapins, qui, sur la bruyère, L’oeil éveillé, l’oreille au guet, S’égayaient, et de thym parfumaient leur banquet. »
Souvent, l’animal apparaît seul, en un portrait pittoresque : « Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où, Le héron au long bec emmanché d’ un long cou. Son aspect dégingandé, sa lenteur, annoncent la trop grande délicatesse de ses goûts et son dédain pour la nourriture qui se propose. (VII 4)
Le caractère peureux du lièvre est, lui aussi, bien suggéré : « Il était douteux, inquiet : Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. Le mélancolique animal, En rêvant à cette matière, Entend un léger bruit : ce lui fut un signal Pour s’ enfuir devers sa tanière. »(II 14)
Attitudes, mouvements et caractères des animaux sont parfaitement décrits, soit par le fabuliste lui-même, dans « Le Chat, la belette et le petit lapin ».
Voici Raminagrobis, le juge arbitre : « C’était un Chat vivant comme un dévot ermite, Un Chat faisant la chattemite, Un saint homme de Chat, bien fourré, gros et gras »… (VII 16)Et voici le chat que décrit le souriceau à sa mère : « L’un doux, bénin et gracieux,
……………………………….
Il est velouté comme nous, Marqueté, longue queue, Un modeste regard, et pourtant l’ œil luisant… » ( VI 5 )
Dans sa naïveté, le souriceau se laisse prendre aux apparences, de même que le Rat devant l’huître qui se referme sur lui (VIII 9) Rats et souris incarnent souvent l’ignorance et la naïveté, mais le rat peut rendre service au lion, prouvant qu’ « On a souvent besoin d’ un plus petit que soi. »
Ainsi, le comportement des animaux n’est pas figé : le rat est parfois victime, et parfois triomphant. C’est aussi le cas du renard, qui, par la ruse, l’emporte sur le corbeau ou sur le bouc, (I 2 ; III 5) mais qui est trompé par le vieux coq. (II 15). L’animal est ondoyant et divers, comme la vie.
4) Confidences de La Fontaine
Il arrive qu’à propos de son œuvre, le poète se confie à ses protecteurs : le Duc du Maine, le Duc de Bourgogne, Madame de la Sablière, et par conséquent, à nous, lecteurs. Il considère l’ensemble de ses fables comme « Une ample comédie à cent actes divers Et dont la scène est l’univers. » (V 1)
Il s’insurge contre les critiques de ses détracteurs qui lui reprochent certaines libertés de style ou de métrique. « Maudit censeur ! te tairas-tu ? Ne saurais- je achever mon conte ? » (II 1)
S’opposant à la conviction de son contemporain Descartes, selon lequel les animaux sont des machines, il donne quelques exemples d’intelligence animale et s’écrie : « Qu’ on m’aille soutenir, après un tel récit, Que les bêtes n’ont point d’esprit ! » (IX 19)
D’autre part, sur ses penchants, ses goûts, ses sentiments, La Fontaine nous apprend beaucoup. La fin de « La laitière et le pot au lait » nous révèle, avec humour, son goût pour la rêverie : « Chacun songe en veillant ; il n’ est rien de plus doux : Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes ; ………………………………………………………… « Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ; ….. ; On m’élit roi, mon peuple m’aime ; Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant… Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même, Je suis gros Jean comme devant. » (VII 10) « Dans les deux amis » (VIII 11), il nous parle de l’amitié idéale : « Qu’un ami véritable est une douce chose ! Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ; Il vous épargne la pudeur De les lui découvrir vous-même ; Un songe, un rien, tout lui fait peur Quand il s’ agit de ce qu’il aime. »
Le fabuliste nous confie aussi ses souvenirs d’amour et s’interroge dans « Les deux Pigeons » (IX 2) : « Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer ! Ne sentirai-je plus de charme qui m’ arrête ? Ai- je passé le temps d’aimer ? »
La Fontaine vécut à Paris, mais il resta attaché à sa région natale : la campagne champenoise, qu’il célèbre avec lyrisme dans « Le Songe d’un habitant du Mogol » (XI 4)
Les deux pigeons Chagall « Solitude où je trouve une douceur secrète, Lieux que j’ aimai toujours, ne pourrai-je jamais, Loin du monde et du bruit, goûter l’ombre et le frais ? Oh ! qui m’ arrêtera sous vos sombres asiles ? » Enfin, il nous fait part de sa sagesse et de sa résignation devant la mort : ……… »
Je voudrais qu’à cet âge On sortît de la vie ainsi que d’un banquet, Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet. » (La Mort et le Mourant VIII 1)
C’est ainsi que, quittant un moment ses personnages animaux et humains, le poète apparaît dans son authenticité et nous livre ses émotions.
Pour aller plus loin : La Fontaine fait son cinéma: https://www.lesinguliers-cinema.fr/…/la_fontaine_fait…
Dire La Fontaine n’est pas aisée. Ci-dessous la version « sérieuse » de Luchini confrontée à la diction de Pierre Repp et de Pierre Péchin :https://www.youtube.com/watch?v=Qs3OcybtqiI
Pierre Péchin « La cèggal et la foôrmi » : https://www.youtube.com/watch?v=GWgutoFwK9k
Pierre Repp : la laitière et le pot au lait : https://www.youtube.com/watch?v=jGjHztzXgzE