Issue de la conférence donnée par Stanis Perez le samedi 14 janvier 2023
Un Dauphin, par « Dieu donné » : Dieudonné, le deuxième prénom de Louis, est le rappel d’une naissance un peu inespérée. Après une grossesse sans succès en 1622, la reine est de nouveau enceinte en 1638. Cette naissance d’un successeur au roi est un véritable « miracle ». Au 17ème siècle, la mortalité infantile dans la première année était courante. Aussi entoure-t-on de soins le petit Dauphin. Tous les événements de sa vie médicale seront consignés par ses médecins, seront médiatisés et deviendront de véritables enjeux politiques.
A commencer par le choix des nourrices. Cette sélection suit un véritable parcours de recrutement : brune, de mœurs irréprochables, une poitrine généreuse et ayant eu de nombreux enfants. La fonction est prestigieuse, certaines sont anoblies, rappelant ainsi l’importance de la qualité du lait dans la santé de l’enfant.
1647, le roi a 9 ans, des boutons apparaissent sur son corps, la fièvre s’installe. Alors variole ou varicelle ? Les traitements de l’époque sont appliqués : la saignée, tout particulièrement. Son médecin rédige le journal de santé, mais il est avant tout un courtisan. Son récit est rétrospectif. Le roi guérit, et le médecin racontera que celui-ci a bénéficié de soins excellents qui ont vaincu une terrible maladie. Le prestige est plus grand de guérir le roi de la variole (plus mortelle que la peste à l’époque) que de la varicelle !
1658, le roi est mort à Calais : Cette fausse annonce est donnée à Paris. Le roi, alors âgé d’à peine 20 ans est très affaibli mais toujours vivant. Les courtisans commencent à comploter, c’est un quasi-coup d’état qui se profile. Cette maladie portera le surnom de « maladie des dupes » car elle révélera la duplicité de certains courtisans.
Pendant ce temps, la maladie s’aggrave. Lavements, saignées sont appliqués, le médecin tente ce qu’il peut pour trouver le bon remède. Des médecins supplémentaires sont appelés en renfort, un traitement à base de vin et d’antimoine préconisé par l’un deux, dont l’histoire ne retiendra pas le nom, est administré. Ce remède, hautement dangereux, car l’antimoine mal préparé peut contenir de l’arsenic, ne tuera pas le roi. Et finalement Louis XIV survivra, et à la maladie, et à ses traitements.
Cette guérison est utilisée politiquement, avec de fortes connotations christiques : après sa naissance miraculeuse, le roi ressuscite. On peint des tableaux où le roi est protégé par Dieu, un almanach royal est publié où un ange se tient aux côtés de Louis XIV.
Mazarin disait « D’une faiblesse, faites une force ». Louis XIV se souviendra de la leçon. De la maladie, on fait un miracle. On comprend de plus en plus que la maîtrise de l’information est un élément crucial de l’exercice du pouvoir.
Le roi a guéri mais il a perdu ses cheveux. Il porte une perruque et tous les courtisans en porteront une pour l’imiter. La mode est lancée !
1686 : le roi est guéri : dans cette période agitée en France, entre la guerre et la révocation de l’Edit de Nantes, Louis XIV est très affaibli par une fistule anale. Celle-ci l’empêche de s’occuper pleinement des affaires du pays.
Les premiers soins prodigués n’apportent ni guérison, ni soulagement, puisqu’ils consistaient à badigeonner la plaie avec de l’acide. Au contraire, cela creusait un peu plus les chairs.
Une opération est proposée au roi, mais celui-ci la refuse.
Une cure dans les Pyrénées ? Celle-ci est trop compliquée à organiser : le roi ne se déplace jamais sans sa cour, les Pyrénées sont très éloignées de Paris, et en ces temps agités, la situation risque d’exploser à Paris. Les protestants disaient que la fistule était une punition divine à la suite de la révocation de l’Edit de Nantes.
Finalement, le roi accepte l’opération. Le chirurgien Félix se fait la main sur des patients pauvres trouvés dans les hôpitaux. Il invente un bistouri spécifique, terminé par un long fil métallique, destiné à limiter la douleur. Cet argument semble plus psychologique que médical.
L’opération a lieu. C’est un nouveau miracle. La communication / propagande bat son plein. Dieu a guéri le roi, preuve que sa politique est la bonne. L’événement est immortalisé par des médailles, des festins.
En réalité, l’opération fut un échec. Celle-ci devra être suivie de trois autres. Mais, à nouveau d’une faiblesse, le pouvoir fait une force.
1715 : le roi est (presque) mort : le roi est de plus en plus fatigué, il n’accompagne plus les troupes sur le terrain. Handicapé par la goutte, il se déplace en fauteuil roulant à Versailles, il chemine ainsi dans le parc. Des courtisans se feront également fabriquer des fauteuils de prestige pour l’imiter.
A cette époque, la goutte était considérée comme un signe de longévité, car elle frappait principalement les riches.
Mais la santé du roi décline, il n’a plus d’appétit. Cette rumeur circule vite, en France comme en Europe. Dès le mois d’août, des paris sont pris à Londres sur la date de la mort du roi.
La gangrène s’installe sur un orteil, puis très vite, gagne la jambe. Le roi refuse l’amputation. Est-ce parce qu’il avait été un grand danseur et était très attaché à ses jambes ?
Le roi rendra l’âme le 1er septembre.
Conclusion : la santé des dirigeants, hier comme aujourd’hui, est instrumentalisée, la communication sert la stratégie politique.
Mensonges, rumeurs et propagandes se répéteront dans l’Histoire : pensons à Pompidou, Mitterrand et tout près de nous, Poutine.
Stanis Perez, est professeur agrégé et docteur en histoire de l’EHESS. Il est en outre coordonnateur de recherche à la Maison des sciences de l’homme Paris-Nord. Chercheur, conférencier et membre de plusieurs sociétés savantes, il participe également au DU d’histoire de la médecine à l’université Paris-Descartes. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire du corps, de la santé et des savoirs médicaux, une « biohistoire » en quelque sorte, dont :