Deux points importants à retenir en préambule :

1/ Jusqu’au 19ème siècle environ tout tableau était une commande (sauf études personnelles et auto portraits pour s’entrainer). Il devait donc répondre aux desiderata du donneur d’ordre (l’église ou les nobles riches)

2/ Jusqu’au 19ème siècle l’image était rare. Un tableau était regardé jour après jour, commenté avec des amis, étudié. Conséquence : chaque détail dans un tableau n’est pas là par hasard.

Le but de la conférence était d’étudier quelques tableaux célèbres et de montrer comment ils expriment les questions fondamentales de leur temps, tout en recourant à des techniques picturales novatrices. 

Le 1er tableau étudié est

La chute d’Icare – Brueghel l’ancien – Vers 1600 –

Le poète, Ovide, raconte dans les Métamorphoses comment Icare et son père Dédale s’enfuient du labyrinthe où le roi Minos les détient prisonniers, en fabriquant des ailes de cire et de plumes :

« Un pêcheur qui taquine le poisson du bout de sa gaule flexible, un berger appuyé sur sa houlette, un laboureur guidant sa charrue les voient passer tous deux. Étonnés, ils prennent pour des dieux ces hommes capables de voler dans les airs. … L’adolescent, enivré par la sensation audacieuse du vol, s’écarte de son guide. S’abandonnant au vertige des cieux, il gagne de l’altitude. C’est là qu’à l’approche du soleil ardent, la cire odorante qui maintient les plumes devient molle. Elle fond. Icare a beau agiter ses bras nus : privé d’ailes, il ne se soutient plus dans le vide. Il appelle son père, puis disparaît dans l’azur des flots de cette mer que l’on nomme depuis mer Icarienne. »

Ce texte correspond à la commande passée à Brueghel. Le génie de l’artiste consiste à avoir placé Icare en bas à droite du tableau. Et encore ne voit-on de lui que deux jambes qui s’agitent ridiculement dans la mer. 

Pourquoi ce choix de Brueghel ?

  • « Connais toi toi-même » était écrit sur l’entrée du temple d’Apollon à Delphes. Ce n’est évidemment pas une allusion psychanalytique qui n’existait pas à l’époque. Cela signifie : reste à la place où les dieux t’ont mis. Pas de démesure. En voulant s’approcher trop près du soleil, Icare a voulu égaler les dieux. Il en est puni.

Cela n’explique pas le parti pris de ne pas montrer Icare, mais plutôt le laboureur, le berger et le pécheur.

Brueghel signifie par-là que le vol d’Icare et sa mort n’ont aucune influence sur la continuité du monde. C’est un non évènement. Ce qui est important c’est la vie rurale (laboureur, berger, pécheur) et marchande (bateaux, cités).

  • Il y a quand même une incohérence dans ce tableau : le soleil se couche et on nous dit qu’Icare a brulé ses ailes en étant trop près du soleil. Ce n’est évidemment pas une erreur de Brueghel. En fait il faut voir le tableau comme une succession de 3 temps dans le même espace :

Le matin, en ocre, les paysans vaquent à leurs affaires

Le midi, en vert, Icare tombe dans l’eau

Le soir, en jaune, la nature reste immuable.  

En dépit de la mort d’Icare la vie suit son cours, imperturbable, éternelle.

  • Il faut enfin remarquer le brio avec lequel Brueghel attire notre regard sur le coté gauche du tableau par le jeu des sillons laissés dans la terre, puis qui nous conduit vers l’océan et enfin vers la cité. Il nous oblige à survoler la scène comme un oiseau et nous éloigne astucieusement du lieu où est tombé Icare pour nous interloquer encore plus.
  • Notons enfin que ce tableau contient d’autres mystères : un faisan à côté du pécheur, une épée près du laboureur, la tête d’un homme dans les fourrés … autant d’éléments qui font référence à des légendes ou dictons flamands de l’époque.

Bref, pour voir un tableau et l’apprécier il faut le regarder, longtemps, le revoir, entrer en son espace.

Notre voyage nous a conduit à étudier succinctement Bosch, Holbein, Velasquez, David, Géricault, quelques impressionnistes, Picasso, Hopper, de Chirico, Tamara de Lempicka et quelques femmes peintres qui ont réussi à émerger de l’histoire -masculine- de l’art :

Artemisia Gentileschi : violée par son tuteur elle réalise une peinture grave, puissante et sombre.  

Elisabeth Vigée Lebrun : protégée de la reine de France elle n’est toutefois autorisée qu’à peindre des portraits ou des paysages. Il serait inconvenant qu’elle peigne des hommes nus !

Rosa bonheur : elle devait obtenir un permis de travestissement pour porter un pantalon et se rendre ainsi aux foires aux bestiaux où elle réalisait ses croquis.

Berthe Morizot : Caillebotte, grand collectionneur de tableaux impressionnistes, légua à sa mort une importante collection à l’état français -qui n’en accepta qu’une petite moitié-. Dans le lot il n’y avait aucun tableau de Berthe Morizot. Pourtant, épouse du frère de Manet, amie de Monet, Degas, Sisley, Pissarro et Renoir, elle fut une peintre impressionniste à part entière qui suscitait respect et admiration de ses pairs.   

Marie Laurencin : son univers rappelle un peu celui de Chagall. Elle n’eut pas le même succès. On trouvait ses toiles mièvres et féminines.

Suzanne Valadon : Ah oui, la mère de Maurice Utrillo ….