A quoi sert la musique dans un film, quels sont ses enjeux, sa pertinence ?
Tout d’abord, la musique n’est pas apparue avec le cinéma parlant. Au temps du cinéma muet, un pianiste (ou une formation orchestrale) présent dans la salle, jouait un morceau de musique, pour étouffer le bruit du projecteur. C’est à Camille Saint Saëns que l’on doit la première musique de film dans « L’assassinat du duc de Guise ». La musique n’était pas collée à la pellicule et donc d’une projection à l’autre, la partition était jouée différemment. C’est avec « Le chanteur de jazz » en 1927, où plusieurs scènes sont chantées et sont enregistrées au moment du tournage que le cinéma devient parlant. La musique va entrer en compétition avec les dialogues et les sons.
Dans un film, la musique peut être intra ou extra-diégétique. Intra-diégétique signifie que l’on voit la source, une télé, un poste de radio et que les sons sont audibles par les personnages. A l’inverse, la musique extra-diégétique n’est pas entendue par les personnages, mais uniquement par les spectateurs.
La musique de film n’est pas un genre en soi, il n’y a pas de règles, le compositeur doit produire UNE musique pour UN film. Cela nécessite une collaboration importante entre le réalisateur, le scénariste et le compositeur. Les compositeurs sont des scénaristes musicaux car souvent la musique raconte une histoire en parallèle.
Ainsi, Robert Bresson qui cherche à montrer l’intériorité de ses personnages, refuse la musique, expression de l’émotion. Pourtant, Philipe Sarde, pour « Lancelot du Lac » le convainc de sa nécessité dans une scène de bataille, qui n’a pas été filmée, mais est juste évoquée par les protagonistes. Les percussions remplacent les images de combats et ainsi Robert Bresson peut se concentrer sur ce qui l’intéresse : les visages et leurs expressions.
Un autre compositeur convainc le réalisateur d’utiliser la musique. Il s’agit de Bernard Hermann avec Alfred Hitchcock, pour une scène devenue culte : la scène de la douche dans « Psychose ». Au départ, Hitchcock voyait cette scène sans aucune musique. Et pourtant, cette musique stridente placée sur cette scène d’angoisse augmente indéniablement les émotions du spectateur.
Autre enjeu de la musique de film, celle-ci peut caractériser un personnage. L’exemple le plus célèbre est certainement l’harmonica dans « Il était une fois dans l’ouest ». Dans ce film, il n’y a aucune musique, aucun dialogue durant les 15 premières minutes. Seulement des bruits (vent, goutte d’eau, mouche, grincements métalliques, …). Puis, avant même qu’apparaisse à l’écran le visage de Charles Bronson, l’harmonica interrompt le silence et l’attente.
Dans les films policiers, la musique peut dès le début condamner ou sauver un personnage.
La musique peut aussi évoluer au cours du film parallèlement à l’évolution de l’histoire. Ainsi dans « Sur la route de Madison », le thème joué au piano accompagne la première rencontre entre Meryl Streep et Clint Eastwood, puis lorsqu’ils se revoient, la musique reprend exactement là où elle s’était arrêtée et lorsque leur relation évolue jusqu’au premier baiser, la mélodie est reprise par l’orchestre. Bien plus tard, à la presque toute fin du film, ils se recroisent, la musique est là, à nouveau présente mais pas dans son intégralité, certaines notes sont manquantes, annonciatrice de leur séparation.
Enfin, avant de nous quitter, savez-vous ce qu’est le « mickeymousing » ? Ce procédé très utilisé dans les dessins animés synchronise la musique avec l’image pour illustrer tous les mouvements des personnages.Tex Avery a poussé cette technique au paroxysme. Bientôt la période de Noël : voilà une bonne occasion de revoir ses dessins animés !
Synthèse de la conférence du 20 novembre 2021 organisée par l’association Agora et animée par Benoit Basirico, journaliste, enseignant en cinéma, spécialiste de la musique de film.Auteur de l’ouvrage « La musique de film, compositeurs et réalisateurs au travail » (Hémisphères, Octobre 2018)