PRIX JEAN GIONO 2022
PRIX RENAUDOT DES LYCEENS 2022
UNE ŒUVRE : on était des loups
Liam, proche de la quarantaine est chasseur trappeur. Il vit au cœur d’un monde perdu. Des montagnes, des vallées, des bois, des bêtes sauvages, du gibier. Ça pourrait être le Montana, le fin fond des Appalaches ou des Rocheuses. On ne sait pas et ça n’a pas d’importance. Il a choisi cette vie à l’âge de 20 ans, pour fuir une enfance misérable et violente, fuir les hommes et les villes avant de devenir fou et de commettre l’irréparable. Il aime profondément ce pays, sa vie, sa femme Ava. Elle mène à ses côtés une vie simple et austère, ils s’aiment. Elle veut un enfant, lui pas. Il n’a pas la fibre paternelle et estime que ce n’est pas une vie pour un enfant. Mais elle parvient à ses fins, donne naissance à un petit garçon, Aru dont elle s’occupe exclusivement. Liam reste un peu lointain, de temps à autre, quelque chose remue en lui quand il le regarde mais c’est Ava qui en prend soin et c’est bien ainsi. Aru a presque 6 ans au début du roman et le chemin vers l’humanité, vers la paternité de cet homme rude, violent et sensible va commencer là.
Au retour de plusieurs jours de chasse il découvre qu’Ava a été tuée par un ours. Il trouve Aru sous le corps de la mère qui l’a protégé des griffes et des morsures du fauve. Liam est fou de chagrin, de rage, d’impuissance, toute sa vie s’effondre avec la perte de sa compagne et cet enfant terrifié dont il ne sait que faire mais dont il certain qu’il ne peut rien lui offrir, car pour lui, il est hors de question de changer de vie. Il décide de la confier à un couple de sa famille et de revenir chez lui. Six jours à cheval pour gagner la ville où habitent son oncle et sa tante. Liam rumine de sombres pensées, des plans machiavéliques ; il rejette cet enfant silencieux et docile qui n’a plus que lui au monde. Mais l’oncle refuse de prendre Aru en charge !
Liam, plus torturé que jamais par la rage, la violence de son ressentiment, de sa haine envers les hommes, y compris de son gamin à qui il impute la responsabilité de la mort d’Ava, reprend le chemin de sa maison dans la montagne, suivi par le petit. Il traversera avec lui une série d’épreuves dramatiques, une rencontre avec la pire espèce humaine. Un voyage au bout de l’enfer au cours duquel l’homme et l’enfant s’apprivoiseront, c’est la magnifique et inoubliable aventure humaine que nous livre Sandrine Collette.
Et le tour de force de l’autrice c’est la façon dont elle a empoigné un sujet qui pouvait prêter à tous les apitoiements. Elle se glisse dans la peau et les pensées de son personnage avec une totale vraisemblance, nous restitue à travers lui l’immensité d’un monde auquel il est viscéralement attaché. Elle prête à Liam le vocabulaire, la syntaxe, la rude poésie et le pur amour sauvage qu’il voue à la nature et aux animaux qui l’habitent depuis bien plus longtemps que l’homme.
Un tempo souligné par le manque de ponctuation, des mots simples, familiers, voire grossiers qui nous restituent le chaos qui se joue dans la tête de Liam, ses élans et ses reculs, la tendresse enfermée si loin dans le cœur d’un père déboussolé tour à tour ému et haineux. Loin de le glorifier, elle nous dévoile sa part d’ombre, son instinct, sa violence inaltérée et son goût pour la lutte. Un fauve déconcerté par la fragilité d’un enfant, par sa résilience et sa résistance physique. Cet enfant joue sa partie à part égale avec le père, singulière alliance de maturité et de vulnérabilité, instinctif et réfléchi, démuni et fort. Sa vie est en jeu et il le sait sans que l’on ait besoin de lui dire, d’expliquer.
La beauté de leur rencontre est à la mesure de la rudesse du chemin.
Un sans-faute.
Une autrice : Sandrine Collette
Sandrine Collette est une romancière française née en 1970. Un parcours atypique entre master de Philosophie et doctorat de Sciences Politiques, un passage par les Ressources Humaines et une carrière littéraire qui débute par un roman policier : Des nœuds d’acier, grand prix de la littérature policière en 2013. Elle devient un grand nom du thriller français avec son deuxième roman, Un vent de cendres (2014). Elle ne se cantonne pas cependant aux « Sueurs Froides » et aborde le genre post apocalyptique avec Juste après la vague (2018), aventure d’une famille qui s’efforce de survivre à un tsunami, et dans le même contexte post apocalypse Et toujours les Forêts (2021).
Sandrine Collette a vécu en Champagne puis dans le Morvan, deux régions où, pour se reposer de l’écriture elle restaure encore aujourd’hui des maisons ! Elle a aussi élevé des chevaux, toujours dans le Morvan.
La nature, les grands espaces, les forêts, l’exploration de la frontière entre l’homme et l’animal, les liens familiaux s’inscrivent dans ses thèmes favoris bien que l’on ne puisse rien présumer de cette autrice atypique et de ses chemins de traverse. Dans tous les cas attachez vos ceintures de lecteurs, ses chemins ne sont pas tapissés de roses !
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